Préface de l'édition de l'œuvre pour orgue

Quelques remarques destinées aux exécutants ne sont pas déplacées au seuil de l'œuvre de Jehan ALAIN. Elles se contentent d'ailleurs de résumer les conseils qu'il donnait à ses interprètes et les caractéristiques de sa nature.

Il n'est pas indifférent de savoir que DEBUSSY se bornait à suggérer, d'une note poétique, l'atmosphère de ses pièces de piano laissant à l'artiste toute latitude dans l'expression de sa sensibilité. Au contraire, RAVEL insistait pour que sa musique fut "seulement jouée". Ainsi bannissait-il tout effort d'interprétation dépassant le souci de la perfection technique.

Quelles étaient, à l'égard de ses œœuvres, les exigences de Jehan ALAIN ?

La plus impérieuse était assurément LA VIE. Rien de figé chez lui : une pareille horreur de l'académisme, sur le papier comme au clavier. L'Organiste qui interprétait ALAIN comme Sébastien BACH desservirait une œuvre "qui vise avant tout à l'ardeur". Lui-même, preste, fuyant comme du vif argent, sensible mais cocasse, imprévu, aussi riche d'émotion que de boutades, n'aimait pas à insister. Il était Français. Sa musique est le miroir de sa personnalité. Aussi bien est-ce UN HOMME et non pas seulement un compositeur qui s'y reflète.

Sans doute faut-il distinguer entre les pièces rythmiques et les pièces mélodiques : danse ici, rêve là-bas. Mais la méditation ne requiert pas moins de vie que l'action : ainsi un Adagio (LE JARDIN SUSPENDU) peut être aussi riche de mouvement intérieur qu'un Scherzo (SCHERZO). Ne pas s'attarder, ne pas ennuyer, teinter l'émotion de pudeur -- ainsi Jehan ALAIN définissait-il l'interprète idéal.

Les mouvements sont souvent rapides. Les rythmes de danse, qui abondent dans l'œuvre d'ALAIN, réclament non seulement de la vitesse, mais surtout de la nervosité dans l'attaque. Prenons pour exemple LITANIES. Le manuscrit porte la mention ; ECLATANT ET BREF. D'autre part, une lettre de Jehan ALAIN précise que "cette pièce doit être jouée à la limite du mouvement que permet l'instrument, à la condition d'observer une absolue netteté". Ces indications suffisent à définir le caractère de l'œuvre, étincelante, rapide et presque haletante dans sa conclusion.

Une grande liberté sera non seulement tolérée mais de rigueur dans les pièces mélodiques dont l'ambition de l'auteur était "qu'on retrouvât en les jouant l'aisance souveraine de l'improvisation". En tête des variations de PRELUDE, VARIATIONS, SCHERZO, CHORAL, il a écrit : FLUIDE. Et n'a-t-il pas recommandé ailleurs "que cette musique coule comme l'eau d'un ruisseau. Foin des martellières et des écluses !". On se contentera de souligner certains appuis passagers, d'alanguir ici, de précipiter là, mais sans rompre jamais le fil du phrasé par de véritables arrêts.

Une absolue rigueur métronomique ne sera de mise que dans certaines pièces de caractère marmoréen, comme les CHORALS modaux. Ailleurs, on aura le constant souci de jouer VIF. S'inspirer de la nature, penser longuement à la signification poétique ou mystique de l'œuvre avant de l'exécuter, deviner ou retrouver le caractère du compositeur à travers sa musique, ce sont là des principes malheureusement vagues mais nécessaires. Au surplus, les seuls valables. Davantage qu'à des exploits techniques, c'est à un puissant effort de pénétration que l'œuvre de Jehan ALAIN convie ses interprètes.

© Bernard Gavoty

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