Préface de l'édition de l'œuvre pour piano


Quelques remarques

Nous ne saurions exprimer une œuvre d'un maître sans y faire participer notre âme. Mais cette participation ne servira la pensée du maître que si elle vise à dégager, à faire jaillir l'élément universel, permanent, de toute œuvre d'art véritable. C'est ici que se pose la question du style.

Le caractère essentiel du style, de l'interprétation, des œuvres de Jehan Alain est la mobilité. Lui-même observait, dans ses petites pièces pour piano spécialement, un mouvement extrêmement souple. Son interprétation, à l'image de sa sensibilité, passait d'une exaltation généreuse du rythme et de la mélodie à une retenue inspirée par la pudeur du sentiment et du respect intérieur.

La grande liberté rythmique de son style porte du reste surtout sur l'expressivité mouvante de certains rapports de duré, de tel enchaînement ; si l'on pouvait parler de rubato à propos d'une œuvre aussi peu "maniérée", il faudrait dire que celui de Jehan Alain, est un rubato "actif". C'est comme un organe expressif qui constamment ramène la phrase musicale ou le rythme lui-même à une fidélité plus exacte vis-à-vis du complexe d'émotions qu'ils traduisent. Il s'exerce donc aussi bien dans le sens de l'amplification et de la restriction, que dans le sens de l'accélération et de la suspension. C'est l'agent vérificateur des "intentions" de l'artiste. Une indication métronomique ne pourrait qu'indiquer une limite à ne pas dépasser, dans tel ou tel sens. C'est dire qu'une telle musique ne saurait être exécutée, sans gros risques d'erreurs, qu'après avoir pris connaissance de la "tradition" d'interprétation, que possèdent les amis ou parents de Jehan Alain dont les souvenirs sont abondants et précis.

Les mouvements sont souvent rapides, du moins ils le paraissent, par la souplesse, la vivacité des groupes. Le jeu des rythmes même les plus saccadés (voir Tarass Boulba, par exemple) est débordé, vivifié par une impulsion chaleureuse dont ces rythmes ne sont que les instruments.

Cette musique, née au cœur d'un être extrêmement sensible et divers, ne saurait étonner par sa diversité, ses contrastes, qu'un public insuffisamment "réceptif". A peine pourrait-on dire qu'une préparation est nécessaire pour comprendre ou faire comprendre l'alliance de telle fantaisie pittoresque et de telle phrase d'une gravité mystérieuse.

Le génie de Jehan Alain a pour racine le don total de soi-même. Avec la vie intérieure de son auteur il révèle des joies quasi enfantines, des rêveries profondément concentrées, ou diluées dans l'impalpable, des souffrances dont vibrent les centres nerveux, des exaltations conquérantes, ou même des pitreries qui ne trompent personne, pas même l'auteur narquois qui n'a jamais songé à tout placer sur le même plan.

Une réceptivité exceptionnelle est exigée de l'artiste qui aborde ces œuvres, dont la plupart ne sont pas très difficiles à jouer, mécaniquement parlant. C'est la vie même d'un homme, et d'un homme complexe. Fertile en explosions éblouissantes, en retraits subtils, qu'il s'agit de ressusciter. Plus qu'une indication technique, cet avant-propos devrait être une invitation à laisser s'ouvrir les portes les plus profondes du royaume des joies et des douleurs, qu'éclairent souvent les cris frais de la jeunesse et l'arc-en-ciel railleur de la fantaisie.

© Olivier Alain et Jehanne Raphaele

Avant Propos

Vous trouverez ici une série d'impressions. Il n'y faut pas chercher à quelques exceptions près, un cours ou un raisonnement, mais une vision passagère.

Je n'ai pas toujours marqué l'interprétation que je désire et qui pourtant est la plus grande chose dans ces petites pièces dont la simplicité peut paraître de la pauvreté et de la bigarrerie, de l'inutilité ou du désagrément ? Du reste, cette interprétation est absolument variable.

Mais mon but serait atteint et ce serait pour moi une très grande joie si l'un de vous, lecteurs, se retrouvait lui-même, tout à coup, dans l'une de ces lignes; qu'il s'arrête, touché et qu'il s'en aille en ayant reçu un peu de cette douceur qui vous baigne lorsqu'on a croisé un regard ami.

Jehan Alain

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